C’est l’un des parcours musicaux les plus tragiques de ces 30 dernières années : en 1989, The D.O.C. était un jeune rappeur prometteur de Dallas, qui avait bougé à L.A. pour rejoindre le plus important crew hip-hop de l’époque. Son nom était sur la cover de N.W.A. and the Posse, aux côtéz de Dr. Dre, Ice Cube, Eazy-E, la voie de la consécration s’ouvrait à lui. Son premier album, No One Can Do It Better, avait atteint la tête des charts Hip-Hop/R&B et allait se vendre à plus d’un million d’exemplaires. Et puis Tracy Lynn Curry a eu un accident de voiture.
Ses cordes vocales ont été sectionnées mettant un terme à sa carrière musicale. Les docteurs lui ont appris qu’il ne pourrait plus jamais chanter sur scène. The D.O.C. est donc sorti de la lumière mais a continué à travailler dans l’ombre pour Snoop Dogg et Dr. Dre, notamment sur le récent Compton. Il a, malgré ça, continué à sortir des disques lui aussi : Helter Skelter (1996) et Deuce (2003), rappant d’une voix de fausset, sonorité morbide qui semblait provenir d’un squelette, loin du ton grave et autoritaire qui était le sien quelques années plus tôt. The D.O.C. aurait pu devenir une figure incontournable du rap, il est resté une référence connue principalement des puristes. Mais…
…en août dernier, The D.O.C. annonce sur Twitter qu’il a récupéré sa voix. Un timing coïncidant parfaitement avec la sortie et le succès du film Straight Outta Compton. Tout le monde se penchait à nouveau sur les figures du rap de la côte ouest et The D.O.C. avait lui aussi sa place dans le film. Les fans ont tout de suite célébré l’annonce. Le D.O.C a donné un concert à L.A. et un autre chez lui à Dallas. On sait aussi qu’il est actuellement en studio, même s’il n’a aucun plan précis pour l’instant. Il prend son temps et savoure ce don du ciel. Je lui ai passé un coup de fil pour savoitr comment il se sentait aujourd’hui, après toutes ces années à galérer.
Noisey : Tu as annoncé il y a quelques semaines que ta voix était de retour. Tu te sens comment ?
The D.O.C. : C’est un sentiment très bizarre, pour être honnête. Quand j’utilise mes corde vocales, j’ai comme l’impression d’enfiler ma chaussure droite sur mon pied gauche.
Tu as dû imaginer ce moment pendant des années. Tu en attendais quoi ?
Je n’ai plus vraiment d’attentes, à quelque niveau que ce soit. Les docteurs m’avaient dit que mes cordes vocales n’allaient plus jamais marcher. Donc le fait qu’elles fonctionnent à nouveau signifie que quelque chose de plus grand s’est passé. Je le vois donc d’un point de vue spirituel, je suis dans une phase que je ne contrôle pas, qui n’est pas de mon ressort, mais c’est très positif, et très fort, donc je vais juste continuer à vivre.
Comment sais-tu qu’elles fonctionnent encore ? Comment tu l’as réalisé ?
Alors, tu ne peux pas émettre de tonalités sans cordes vocales. L’homme possède deux cordes vocales différentes, une voix de tête et une voix de fausset. J’utilise en ce moment la voix de fausset. Je me sers des autres pour contracter, les faire vibrer et donner une tonalité. Ensuite, je peux cocnevoir des notes, des harmonies. Je peux faire de la musique avec ma voix. Ça ne sera jamais aussi puissant que ça l’a été. C’est super profond, et c’est un début. Je ne dirais pas que je suis prêt à sortir des albums aujourd’hui. Mais le fait qu’elles fonctionnennt et que je puisse les manipuler pour en sortir de la musique, ça veut déjà dire beaucoup pour moi. Les premiers à qui j’ai voulu le monter, ça a été ma famille à Dallas.
Ouais, tu as fait un concert récemment, ça s’est passé comment ?
Je suis monté sur scène à L.A., pour le How the West Was Won. Il y avait moi, Warren G, The Game et Schoolboy Q. J’ai fait un set de 10 minutes avec de vieux morceaux tirés de No One Can Do It Better. Ma voix n’est plus très puissante, je ne peux pas rivaliser avec l’ancienne mais c’est suffisant pour être capable de chanter ces vieux titres. Et les gens ont vraiment aimé, je ne crois même pas qu’ils aient fait attention à ma voix. Ils voulaient juste me voir le faire. Donc c’était très marrant. J’avais l’impression d’être dans un autre espace-temps. C’était un pur trip. Mais le public était au top, vraiment. Les Californiens ont eu l’air d’adorer ça.
Donc tu vas sortir de nouveaux morceaux ?
Ouais, j’ai enregistré deux nouvelles chansons. Et elles tuent. Elles sont géniales. Je les ai faites écouter à quelques personnes. Et elles étaient littéralement sous le choc. Elles se demandaient comment je pouvais faire ça, comment fonctionnaient les mécanismes de ma voix. Et je ne peux même pas leur répondre. Je ne suis allé voir aucun docteur. Je ne me sens même pas concerné parce qu’un docteur aura à me dire parce que c’est Celui d’en haut a rendu ça possible, et c’est avec Lui que je ride désormais.
Je comprends. J’imagine que c’est un peu flippant d’utiliser tes cordes vocales sans en connaître les effets et en même temps de se dire que rendu à ce point, tu n’as pas d’autre choix que de foncer.
C’est vrai. J’ai presque 50 ans. C’est ça qui compte le plus. On s’en fout de savoir si je reviens et si je suis le meilleur de tous les temps. Ce n’est pas le propos. C’est pour les gens qui luttent, qui trouvent leur voie et qui réalisent qu’il y a quelque chose de spirituel qui les dépasse. C’est pour ceux qui se battent pour vaincre leur dépression ou leur addiction, ou la violence quotidienne – tous les trucs qui les enferment. Si tu es spirituel et que tu as la foi, tu t’en sortiras. Et ma vie en est un beau témoignage.
Tu as pu enregistrer à l’aide de tes cordes vocales falsetto, c’est ça ?
Ouais, je n’ai jamais cessé d’enregistrer.
Mais ça n’a pas la même résonnance.
Ouais. La musique est une question de profondeur, d’harmonie, de notes et de tonalités. Donc quand tout ce que j’ai est le rap, je ne peux pas construire sur cette base. Tandis qu’avec l’autre voix, je peux créer une tonalité, et ajouter un octave, et créer un truc plus important, qui va bien au-delà de moi-même.
Ça t’a fait quoi d’écrire de la musique pendant toutes ces années et de ne pas avoir pu l’exprimer ?
Ça a été une vraie lutte. Et je crois que j’ai essayé plusieurs fois de m’autodétruire. Beaucoup trop de drogue et d’alcool, au point de ne plus être capable de faire ce que tu adores faire. C’était un combat. Mais à travers toute cette épreuve, je n’ai jamais tourné le dos à qui que ce soit. Je n’ai jamais insulté personne. J’ai de l’amour, du respect et de l’admiration pour tous les gens de mon passé. Aucune animosité envers personne. Et Dieu me met toujours dans une position qui me permet de faire quelque chose d’unique, et j’essaie vraiment de faire ce qui est bon.
Il y a des gens qui t’ont particulièrement soutenu ?
Snoop Dogg m’a toujours épaulé. Il m’a toujours élevé au-dessus de la mêlée, m’a toujours maintenu dans la course. Peu importe où il va, il transporte mon nom avec lui, quand il donne des interviews, il parle de moi. Il me maintient en vie et nourrit mon esprit. Il y en a quelques autres qui m’ont aidé aussi, de différentes façons. Mais Snoop Dogg est celui dont je dirais toujours qu’il a été un élément clé dans mon évolution spirituelle, qui est probablement la part la plus importante de ma vie.
Content d’apprendre ça. Beaucoup de gens ont connu ton histoire à travers le film sur N.W.A. Tu l’as vu ? T’en as pensé quoi ?
Je l’ai vu, c’est un super film. Je ne suis pas allé à l’avant-première mais à une séance normale, comme tout le monde. J’ai vraiment aimé. Est-ce que c’était à 100 % exact ? Non. Est-ce que la façon dont je suis dépeint dans le film est 100 % exacte ? Non. Mais je concède la licence poétique aux gens qui ont écrit l’histoire, c’était une version romantique de cette période. Et je soutiens ça à 1000 %. J’ai vraiment apprécié. Mais j’aimerais apporter ma version de l’histoire. C’est un peu plus sale, plus sombre, et il y a la rédemption au bout, un message auquel tout le monde peut s’identifier.
Tu vis à Dallas ou à Los Angeles aujourd’hui ?
Je vis à L.A. Mon coeur est à Dallas mais ce n’est pas facile de bosser là-bas, moins qu’ici en tous cas, donc j’essaie de tout organiser pour que les choses soient plus simples à la maison.
Tu as continué à écrire pour d’autres aussi.
Ouais. J’écris pour Dre depuis toujours, je l’ai aidé sur Compton, ramené des mecs de Californie, sur le disque. Je ne suis jamais parti, j’étais juste dans un coin.
C’était comment de bosser sur Compton ?
C’était marrant. On essayait vraiment de s’amuser. On a tous bossé dur parce qu’on voulait que ce soit un succès.
Tu vois des possibilités s’ouvrir à toi dans la musique ?
Ma vie a pris de la hauteur vis-à-vis de ce que j’étais avant. Il ne s’agit pas d’un vieux type de 50 ans qui revient dans le rap. Ce mouvement est plus grand que moi. Je veux juste être un vaisseau qui ttansporte quelque chose de réellement positif, et la musique sera la clé qui nous permettra d’ouvrir la porte. Quand je tourne dans le pays en tant qu’ambassadeur de cette musique, mon message vise bien plus que ça, les quatre éléments du hip-hop, la paix, l’amour, l’unité et la compréhension. Désolé, peace, love, unity and having fun, j’essaie de remettre la musique à sa place, au lieu de juste penser à l’argent, l’argent , l’argent. Remettre de l’amour et de la solidarité dans tout ça serait vraiment bien.
Kyle Kramer est sur Twitter.
More
From VICE
-
De'Longhi Dedica Duo – Credit: De'Longhi -
We Are/Getty Images -
Photo by tang90246 via Getty Images -
Credit: SimpleImages via Getty Images